Module un : Une vérité cachée de l’histoire canadienne
« Ils nous enfermaient. Personne ne voulait de nous dans la société. C’est ainsi que nous nous sentions. Personne ne voulait de nous, donc ils nous enfermaient. »
— Joe Clayton, survivant de l’Ontario
Explorer les vérités de l’histoire cachée du Canada M1.V1
Imagine-toi ce qui suit :
On te dit quand il est temps d’aller au lit, quand il est temps de manger et ce que tu mangeras, et quels vêtements tu porteras. On te défend d’habiter à la maison avec ta famille. Tu dois plutôt vivre avec des centaines d’autres personnes et il ne t’est pas permis de partir sans en obtenir la permission. On t’oblige à peler des pommes de terre pendant plusieurs heures et on te verse 2 $ par jour pour le travail que tu effectues. Tu n’as aucun contrôle sur l’argent que tu gagnes. Tu dors, tu vas à la toilette et tu te laves sans jamais avoir d’intimité et toujours sous l’œil scrupuleux de quelqu’un d’autre. Tout le temps. On te dit que tu as la « mentalité d’un enfant » et que tu ne peux rien apprendre. On t’oblige à subir une intervention chirurgicale afin de garantir que tu n’auras pas d’enfants. On te dit que tu n’es pas une personne normale. Tu es un ou une adulte, mais tu dois faire ce que l’on te dit de faire, sinon tu seras puni(e).
C’est très difficile de lire ces mots et d’imaginer à quoi la vie ressemblerait dans ces conditions. N’importe qui dirait que cela ne serait pas considéré comme une bonne vie. Ce serait une vie motivée par la peur, ce qui te ferait sentir impuissant(e) et seul(e). Certaines personnes tenteraient même de s’échapper de cette vie si elles en avaient la chance. En fait, de nombreux Canadiens et de nombreuses Canadiennes ont bel et bien tenté de s’en y échapper, et ce, à maintes reprises. Cette situation constitue la réalité des personnes ayant une déficience intellectuelle au Canada. Pendant plus de deux siècles, le Canada a isolé systématiquement les personnes handicapées. Cette ségrégation a exposé les personnes à de la violence et à un manque de respect.1Cependant, les vérités de l’institutionnalisation ont été réduites au silence et oubliées. Il s’agit de l’histoire cachée du Canada.
Pour les survivants et survivantes, le mot « institution » signifie « un endroit terrifiant », « de l’abus », « pas de liberté » et « comme une prison ». Le mot « survivant/survivante » sert à décrire les personnes qui ont enduré de dures épreuves dans une institution. Certaines personnes ont reçu de l’aide pour en sortir et vivent maintenant heureuses dans la communauté. Certaines provinces canadiennes ont fermé des institutions. Dans le passé, les institutions étaient d’immenses bâtiments dans lesquels des milliers de personnes étaient cachées et forcées de suivre des règles très strictes. Avec le temps, certaines des grandes institutions ont graduellement fermé leurs portes. Toutefois, on retrouve encore, partout dans notre société, les systèmes et les attitudes ayant influencé la gestion de ces immenses institutions. Ce qui est choquant, c’est que de grandes institutions sous administration gouvernementale sont encore ouvertes au Canada aujourd’hui.
Une institution est un établissement où les personnes étiquetées de déficientes intellectuelles sont isolées, ségréguées et/ou rassemblées.
Une institution ne se définit pas simplement par sa taille.
— People First of Canada2
Combien de personnes ont entendu le gouvernement présenter des excuses pour les mauvais traitements et la négligence que des Canadiennes et des Canadiens ayant une déficience ont subis? Qui parle ou discute de cela aujourd’hui? Seriez-vous surpris d’apprendre que, dans certaines provinces, les gouvernements n’ont pas encore fermé les institutions pour les personnes ayant une déficience intellectuelle? Au Canada, des milliers de personnes vivent dans de grandes institutions ou dans des établissements similaires. Vous vous demandez probablement pourquoi ces institutions existent. Comment des personnes se sont‑elles retrouvées dans ces établissements? Dans ce module, vous entendrez des survivants et survivantes, ainsi que leurs familles, répondre à ces questions.
Tout au long de ce programme, vous allez explorer des témoignages et des preuves grâce à une collection de photos et de vidéos. Vous allez entendre des survivants et leurs familles, des personnes qui ont travaillé dans des institutions et des alliés qui ont participé à leur fermeture. C’est une occasion de prendre connaissance de l’histoire de ce type de ségrégation au Canada et d’en saisir les répercussions sur la vie des personnes aujourd’hui.
Le but d’apprentissage de ce module est de révéler aux Canadiens et Canadiennes les vérités souvent cachées de l’institutionnalisation. Vous allez aussi consacrer du temps à la compréhension de contexte historique des institutions. En d’autres mots, vous allez découvrir les attitudes et les croyances de la société de 1832 à 1914 et comprendre comment elles ont contribué au nombre croissant d’institutions construites au Canada durant ces années.
Pour une introduction aux institutions du passé, veuillez consulter le cahier de l’élève (M1.1).
La preuve de notre souffrance
Ce que nous apprenons sur le passé dépend de qui raconte l’histoire. Écoute les preuves tirées des perspectives des survivants et des survivantes et de leur famille. Les photos, les documents et les extraits vidéo contenus dans ce module représentent les expériences des survivants et des survivantes et de leur famille. Les images ci-dessous te permettront de voir à quoi ressemblaient les conditions de vie. Elles font également état des stéréotypes et des mentalités qui ont influencé les décisions prises sur les personnes du passé. Pour en savoir plus sur les ressources qui suivent et pour obtenir des consignes en vue d’orienter ton analyse, consulte-le cahier de l’élève (M1.2), lequel peut être téléchargé à partir de la page intitulée Ressources pour l’enseignant.
Institutions et eugénique au Canada
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Aucune institution n’a été construite dans les Territoires du Nord-Ouest, au Yukon ou au Nunavut au Canada. Cela signifie que les personnes étaient envoyées dans des institutions situées dans d’autres provinces, comme en Alberta et en Ontario.
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L’eugénique a été légalisée dans la province grâce à la loi sur la stérilisation des déficients mentaux (Sexual Sterilization Act) (mise en vigueur en 1933).
Cette loi a été abrogée en 1979 jusqu’en 1989 (la cause d’Eve). On ignore combien de personnes ont été stérilisées durant ces années.
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C’est d’abord en Alberta que l’eugénique a été légalisée au Canada grâce à la loi sur la stérilisation des déficients mentaux (Sexual Sterilization Act) en 1928 ; environ 2 832 adultes et enfants ont ainsi été stérilisés en vertu de cette loi, et ce à leur insu ou sans leur consentement.
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L’appel pour la désinstitutionnalisation au Canada a commencé en Saskatchewan en 1955, année où l’Association provinciale de l’intégration communautaire a été créée.
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Le gouvernement du Manitoba finance actuellement deux grandes institutions et fait actuellement face à un recours collectif.
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Ces provinces ont été les premières à adopter une loi qui autorisait leurs gouvernements provinciaux à construire des institutions pour les personnes ayant une déficience intellectuelle.
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Cette province utilise actuellement des institutions comme son modèle principal de soins pour des personnes ayant des déficiences. En 2017, environ 1 341 personnes étaient en attente de services et soutien communautaires.
Personnes placées en établissement au Canada (années 1970)
Province | Personnes placées en établissement | Nombre d’institutions déclarantes |
Île-du-Prince-Édouard | 19 | 1 |
Nouvelle-Écosse | 421 | 5 |
Nouveau-Brunswick | 165 | 1 |
Québec | 3 736 | 6 |
Ontario | 7 256 | 20 |
Manitoba | 1 417 | 2 |
Saskatchewan | 1 463 | 2 |
Alberta | 2 342 | 2 |
Colombie-Britannique | 2 270 | 2 |
Source : Bureau fédéral de la statistique (Division de la santé et du bien-être, 1970)
Partager notre vérité
Les institutions ont eu des répercussions sur les survivants et les survivantes et leurs familles à de nombreux égards. Lorsque l’on réfléchit aux expériences vécues par les personnes, il est important que nous tentions d’éviter de nous engager sur la pente glissante du « présentéisme ». Il est facile d’imposer des valeurs modernes et des cultures actuelles au passé. Nous devons plutôt chercher à mieux comprendre les facteurs qui ont influencé les décisions prises par les personnes, défini les attitudes et limité les perceptions sur ce qui était possible pour les personnes. C’est particulièrement important quand on cherche des tendances entre ce qui s’est produit dans le passé par rapport à ce qui se passe aujourd’hui. Nous ne voulons pas que l’histoire se répète. Ces tendances aideront les Canadiens et les Canadiennes à comprendre pourquoi les institutions continuent d’exister au Canada.
« De tous ceux qui y ont vécu et en sont sortis, personne n’a dit : “J’aimerais vraiment retourner vivre là”. Personne. Pas une seule personne. Ça en dit beaucoup. »
— Bill Hogarth, survivant du Valleyview Centre en Saskatchewan
Des survivants et des survivantes de partout au Canada se sont servis de leur voix pour raconter leurs récits personnels sur la vie en institution. Des proches ont aussi présenté leurs témoignages sur la façon dont l’absence de leurs êtres chers a changé leur vie. Leurs histoires nous en apprennent sur l’humiliation, sur la peur et sur le sentiment d’abandon que ces personnes ont vécus. Qui plus est, elles nous parlent de la culpabilité, de la tristesse et des secrets qui ont séparé des familles. Leurs histoires nous enseignent des leçons importantes sur ce dont chaque être humain a besoin et sur ce qu’il mérite.
Perspectives des survivants et des survivantes : « J’ai tenté de m’échapper treize fois »
Les institutions ont été construites en vue de protéger les personnes handicapées. Elles étaient censées prodiguer des soins et fournir un soutien de qualité aux familles canadiennes. À cette époque, les soutiens communautaires et le financement n’étaient pas ce qu’ils sont aujourd’hui. Cela dit, les témoignages des survivants et de survivantes nous montrent le résultat et les vérités contraires à l’éthique de l’institutionnalisation.
Dans cette série d’entrevues, tu entendras les témoignages de trois survivants : Leta Jarvis, David Weremy et Joe Clayton. Chacun et chacune parlera de ses expériences de la vie dans une institution en Nouvelle-Écosse, au Manitoba et en Ontario respectivement. Ces trois survivants mènent maintenant une vie heureuse dans leur collectivité. Ils continuent toutefois de subir les répercussions attribuables à leur vie dans une institution. Chaque survivant et survivante est enthousiaste de partager son histoire avec des gens qui deviendront un jour des décideurs. Consulte le cahier de l’élève (M1.4) pour obtenir des consignes sur la façon de guider les discussions sur ces entrevues.
Rencontre avec Leta Jarvis M1.V2
Leta Jarvis est une sœur affectueuse et une femme forte qui utilise son histoire pour enseigner aux autres le droit de vivre dans la communauté. Mme Jarvis est une survivante de plusieurs institutions de la Nouvelle-Écosse. L’histoire de Mme Jarvis en est une de triomphe et de persévérance.
Rencontre avec David Weremy M1.V3
David Weremy a passé la majeure partie de sa vie à lutter pour les droits de la personne au Canada. M. Weremy, qui a maintenant plus de 70 ans, dit qu’il prendra sa retraite qu’une fois que le gouvernement aura fermé la dernière institution. L’histoire de M. Weremy en est une de résilience et de dévouement.
Rencontre avec Joe Clayton M1.V4
Joe Clayton est un artiste, un conférencier et un fier Algonquin. JM. Clayton se sert de son expérience pour aider d’autres survivants et survivantes à guérir et à passer à autre chose après vécu dans une institution. M. Clayton est un survivant du Centre régional Rideau, lequel est situé à Smith Falls (Ontario). L’histoire de M. Clayton en est une d’endurance et de solidarité. M. Clayton utilise son expérience pour aider d’autres survivants et survivantes à guérir et à passer à autre chose après vécu dans une institution. M. Clayton est un survivant du Centre régional Rideau, lequel est situé à Smith Falls (Ontario). L’histoire de M. Clayton en est une d’endurance et de solidarité.
Perspectives des familles : « C’était notre secret de famille. »
Pour des milliers de familles d’un bout à l’autre du Canada, le fait d’envoyer leur enfant en institution s’est avéré une décision extrêmement douloureuse. Par le passé, les familles se sentaient seules pour prendre soin de leurs proches, et c’est même encore le cas aujourd’hui. Obtenant un soutien et un financement limités de la part des gouvernements, bon nombre de familles n’ont pas d’autre choix que de compter sur les modèles de soins que le gouvernement met à leur disposition.
Cela signifie que les personnes sont limitées dans la création de leur vie rêvée pour eux et pour leurs proches. Si une personne a la capacité d’agir, cela signifie qu’elle est en mesure de faire des choix. Dans bien des cas, l’institution n’acceptait l’admission d’un enfant que si les parents acceptaient de renoncer immédiatement à leurs droits parentaux. Cela signifie qu’il ne leur était plus permis de prendre de décisions au nom de leur enfant ou de leur proche, y compris de mettre fin à l’abus. Le gouvernement était responsable de prendre soin de ces personnes. Les enfants admis étaient donc très vulnérables à de mauvais traitements, étant donné que leurs parents, leurs frères et leurs sœurs n’avaient aucun pouvoir.
Dans cette série d’entrevues, tu entendras les témoignages de trois membres d’une famille. Les frères et sœurs, et les parents jouent un rôle important dans la vie de leurs proches. Ils racontent ce que cela signifiait d’être le parent, le frère ou la sœur d’une personne qui vivait dans une institution. Tu découvriras comment les décisions étaient prises et quelle incidence celles-ci ont eue sur leur vie. Consulte le cahier de l’élève (M1.5) pour obtenir des consignes sur la façon de guider les discussions sur ces entrevues.
Rencontre avec Barb Horner M1.V5
Bard Horner est une fière mère de famille et une ardente défenseure de l’inclusion dans la province de la Nouvelle-Écosse. Mallory, la fille de Mme Horner, a vécu dans une institution pendant son adolescence. Le périple de leur famille pour créer une bonne vie pour Mallory dans la collectivité montre ce que peuvent accomplir les familles qui restent informées et connectées.
Rencontre avec Ron et Jean Nobess M1.V6
Le fils de Ron et de Jean, Derek, a tracé la voie pour les survivants et les survivantes et leur famille au Manitoba en protégeant leur droit de faire des choix éclairés pour eux ou pour leur proche. Écoute-les raconter leur histoire de courage sur la façon dont ils ont choisi de contester la décision du gouvernement du Manitoba afin de protéger le droit de Derek de grandir dans un foyer plein d’amour au sein de la collectivité.
Rencontre avec Victoria Freeman M1.V7
La sœur de Victoria, Martha, était une survivante du Centre régional Rideau, situé à Smith Falls (Ontario). Dans cette vidéo, Mme Freeman parle de son parcours personnel sur la voie du pardon et de la conscience de soi après en avoir appris sur l’expérience de Martha et de sa vie en institution.
Évolution des droits de la personne au Canada, de 1876 à aujourd’hui
La ligne du temps suivante montre l’évolution des droits de la personne dans l’histoire du Canada. Cette ligne du temps montre aussi comment les droits de la personne des personnes handicapées ont évolué au même rythme que les changements d’ordre social et politique survenus au Canada. La ligne du temps est divisée en cinq périodes. Ces périodes représentent l’évolution des mentalités à l’égard des personnes, des types de soins qui étaient prodigués et des différentes lois et politiques mises en place pour protéger les droits des personnes. Pour obtenir de plus amples renseignements sur la façon d’animer une activité d’exploration au moyen de cette ligne du temps, consulte le cahier de l’élève (M1.6). Le cahier est accessible à partir de la page Ressources pour l’enseignant.